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21/09/2014

Une lecture de "l'évangile de la onzième heure" 

Evangéliaire byzantin, XIe siècle. 

évangile,christianisme

 

Matthieu 20.1-13 renverse les valeurs bourgeoises

et brise l'économiquement-correct :


 

 

01 « En effet, le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. 

02 Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne. 

03 Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. 

04 Et à ceux-là, il dit : “Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.” 

05 Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. 

06 Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?” 

07 Ils lui répondirent : “Parce que personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez à ma vigne, vous aussi.” 

08 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.” 

09 Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier. 

10 Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. 

11 En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : 

12 “Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !” 

13 Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : “Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? 

14 Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : 

15 n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?” »

 

Cet évangile est subversif. Commentaire catholique de Parole et prière (septembre 2014) : « En donnant une pièce d'argent à chacun, le minimum pour permettre à une famille de vivre, le maître se montre plus inquiet de la vie de ses ouvriers que de l'application d'une stricte justice distributive. » Commentaire de la Bible protestante du Semeur : « L'ouvrier (de la première heure) n'a rien perdu puisqu'il a été payé selon ce qui était prévu, mais ceux qui sont arrivés plus tard ont bénéficié de la générosité du propriétaire. Ceux qui protestent ne s'indignent donc pas contre une injustice, mais contre une marque de générosité. »

L'économie de la grâce n'est pas l'économie terrestre. Et l'économie terrestre chrétienne n'est pas l'économie libérale : le salaire est donné, non en fonction du temps de travail, mais pour permettre à chaque famille de vivre ; c'est l'esprit de la théorie catholique du bien commun et de la destination universelle des biens. Et c'est l'inverse de la théorie classique, qui ne calcule le salaire que par rapport au profit de l'entreprise ! « Moi je suis bon », dit le maître de la vigne. Ce n'est pas un libéral. « La grâce fait une oeuvre renversante, elle n'obéit pas à la loi de la ''place du marché'' » (v.3), souligne le Semeur.

Les protestations des ouvriers de la première heure font penser aussi à la campagne actuelle contre le pape François suspecté de « modernisme », campagne menée par des super-cathos de toujours (et même d'avant la première heure). Qu'ils écoutent l'Eternel leur répondre par Isaïe (55.6-9) : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins. » Conclusion d'un exégète catholique : « Nous sommes prompts à juger à la place de Dieu, nous réservant souvent une place appréciable... Seul le Seigneur sera juge des vivants et des morts. »

 

Commentaires

LE FILS PRODIGUE

> L'évangile du fils prodigue inspire la même réflexion : il y a l'autre fils, le bon, le garçon discipliné sans un poil qui dépasse et bien assidu à tous ses devoirs. Il grince contre le retour du débauché repentant.
Le bon fils veut que chacun reste dans son casier sous étiquette : les "bons" ici, les "pas bons" ailleurs. Et que le bonus aille aux bons, pas aux mauvais sous prétexte de repentance !
Et le critère de classement entre bons et pas bons n'est pas l'intention du cœur mais l'apparence et la conformité à la norme.
Voilà ce qu'il y a dans la tête des "bons". D'où les avertissements du Seigneur : faites attention les amis, il y a des premiers qui seront les derniers. Il y en a même qui se croient mes militants de choc mais qui se comportent de telle façon qu'au matin final je leur dirai : "je ne vous connais pas." Ce mot s'adresse à de grands vertueux.
______

Écrit par : fulbert / | 20/09/2014

LECTURES

> N'est-il pas possible de comprendre cette Parole située en Matthieu 20.1-13 ainsi:
Pour le Seigneur, l'amour (l'amour-caritas) doit surpasser de loin les mérites humains.

Deux réflexions:
Une qui se veut légère, histoire de sourire, mais qui je suis sûr correspond à la situation de nombre d'entre nous aujourd'hui, en termes de conversion des coeurs:
Dans un temps ancien de l'Eglise en France (mettons entre Saint Martin et Sainte Clotilde), les païens d'alors écoutaient la Parole et souhaitaient se convertir: après maturation de ce projet,-là, ils décidaient souvent de remettre leur conversion à la fin de leur vie, histoire de continuer leur façon de mener leur existence, leurs pratiques, leurs coutumes, leurs modes de vie; manière de dire quelle erreur, quel dévoiement du "fruit" porté en Matthieu 20.1-13 l'on peut faire !!

Une autre réflexion, moins légère celle-ci, est la primauté que semblent avoir donné (semblent donner encore ??) les Réformés, du moins certains d'entre eux et si j'en crois "L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme" (de Max Weber), auxquels j'adjoins sans hésiter certains d'entre les Catholiques, à Matthieu 25.14-30 (parabole des talents) par rapport à Matthieu 20.1-13.
Où l'amas, le gain, est la preuve qu'on a développé son talent (selon eux !).

Inconvénient, pour rester dans l'Evangile de Matthieu une telle conception heurte, par exemple Matthieu 19,16-30 (parabole du jeune homme riche), etc...


Cher Patrice, vous nous présentez-là l'Evangile de ce dimanche 21 septembre, avec brio et soyez-en remercié, mais celui d'hier samedi 20 septembre est presque aussi retentissant.
Du moins je l'éprouve comme restant efficace, et ce depuis longtemps, pour l'évangélisation.
Il est d'ailleurs parfait comme entrée en matière, à qui s'initie à l'écoute de la Bonne Nouvelle.
Il m'est arrivé de le lire à de jeunes enfants (en âge de "L'Eveil à la Foi") qui le comprennent parfaitement (et ça, c'est le vrai "crash-test" en matière d'évangélisation), au reste sa limpidité est accentuée par le fait que Jésus lui-même explique sa Parabole, ce qui n'est pas si fréquent:
Luc 8, 4-15

Comprendre Luc 8, 4-15 est une chose, mais l'appliquer, ah, bien l'appliquer... !

Aventin


[ PP à Aventin - Comme toutes les paraboles dans l'Evangile, celle-ci appelle de nombreuses lectures complémentaires. C'est le mystère absolu de ce livre, et l'indice de sa surnaturalité. ]

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Écrit par : Aventin / | 21/09/2014

DISCUSSION

> Je pense qu'on passe à côté de la signification profonde de l'Evangile si on essaye d'en faire une lecture "économiste" ou politique ou scientifique. Dieu nous appelle à la conversion aux valeurs du Royaume. Le fait d'avoir 50 ans de sacerdoce ou 50 ans de vie religieuse ne pèsera pas davantage qu'une année de sacerdoce ou de vie religieuse. Ce qui compte c'est de mettre sa voile dans le souffle de l'Esprit. Petite Thérèse est arrivée plus vite et plus loin que bien de ses soeurs aînées.

Bethoux


( PP à Bethoux - Vous avez raison mais jusqu'à un certain point seulement. Votre position risque de conduire à une dés-incarnation du christianisme, en coupant le spirituel du temporel. Permettez-moi de vous faire remarquer que toutes les encycliques sociales s'enracinent dans l'Evangile pour critiquer le modèle économique actuel et proposer un autre modèle ! Il est impossible de soutenir que 'Centesimus Annus' ou 'Caritas in Veritate' passent "à côté de la signification profonde de l'Evangile" : elles appliquent l'Evangile à la situation économique, et elles ouvrent des pistes très radicales pour sortir de l'inhumanité néolibérale - cause d'une grande partie de ce que les chrétiens déplorent dans la société actuelle... ]

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Écrit par : Bethoux / | 21/09/2014

CRUCIALE

> "Je veux donner au dernier autant qu'à toi." C'est une pensée centrale dans les Evangiles, qui revient assez souvent, en particulier dans d'autres paraboles. C'est manifestement une pensée cruciale.
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Écrit par : jem / | 21/09/2014

HARMONIQUES

> Les harmoniques de l'évangile et de LA PAROLE ( même la parole...sinon pourquoi Freud ou Molière ... ou François) dépassent tout ce qu'on peut dire ou en dire.
Pour brutaliser une piste de réflexion (et mise en action) possible on peut lancer : l'évangile au cœur du porte-feuille ou le porte-feuille au cœur de l'évangile ?... et toute la gamme de l'entre deux, tout ça devant l'Eternel !
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Écrit par : Gérald / | 21/09/2014

ÉPOQUE

> Que peut comprendre notre époque ras des pâquerettes à cet évangile ?

- Un Mélenchon par exemple :
"Cet évangile est typique de l'hypocrisie cléricale.
Il a été écrit par le financier Mathieu, il est donc logique qu'il soit anti-social.
Il justifie l'exploitation des travailleurs qui peinent toute la journée au profit des inspecteurs des travaux finis, les cadres."
Conclusion de Mélenchon: "tout le monde doit devenir cadre, il faut ouvrir nos frontières pour faire venir des immigrés travailler dès la première heure."
(ami lecteur, ne cherche pas la logique...)

-Un Charles Gave :
"Nous les Les libéraux** nous avons depuis lors résolu le problème : en supprimant toute forme d'industrie et d'agriculture en France, il n'y aura plus personne à payer et tout le monde sera chef.
La production ? elle sera assurée des gens qu'on ne voit pas, alors on pourra les payer peu et c'est justifié on le voit bien, par cet évangile."

NB 1 : étrange similitude des conclusions
NB 2 : cet évangile est le meilleur exemple qu'on puisse donner pour démontrer que la foi et les évangiles sont inséparables ; sans vision transcendante, les évangiles sont incompréhensibles

** à rapprocher de "we the people"
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Écrit par : e levavasseur / | 22/09/2014

FOI ET GAIN

> Cet évangile est toujours pris dans la seule optique du rapport travail/gain.
On ne remarque pas que, si on le prend dans l'optique foi/gain, tout est renversé :

Les ouvriers de la première heure ne partent au travail qu'après s'être entendu sur ce que cela leur rapporterait.

Ceux de la troisième heure, sur une vague promesse de salaire équitable.

Ceux de la onzième heure, dès que le propriétaire leur dit d'aller travailler.

Les derniers ont montré le plus de foi, les premiers le moins. Il est juste que les derniers deviennent les premiers.

Le lecteur chrétien de base a tôt fait de s'identifier à l'ouvrier de la première heure qui peine tout le jour à faire son travail de chrétien. Il oublie facilement que le joug de Jésus est léger et apporte beaucoup de joie, alors que celui de l'incroyant est lourd et triste.

Cette parabole est une provocation qui fait ressortir notre pensée toujours intéressée et égocentrée qui fait peu de place à la foi. Elle est un appel à s'abandonner à Dieu, mais aussi à créer une société qui ne soit plus basée sur des rapports d'intérêt mais sur l'ouverture à l'autre, la confiance et la générosité.
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Écrit par : Guadet / | 22/09/2014

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